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    PREMIER  ACTE  :           

     

    (Madame brode sans jamais lever la tête)

    MADAME : Victoire ... Victoire ... Victoire !

    VICTOIRE : Madame .

    MADAME : Victoire ... Voyons , dîtes-moi . Combien se vend la pièce de coton au marché municipal du Port à l' Anglais . Je sais que vous courez là-bas le dimanche matin . Je n'ai jamais bien compris pourquoi , mais vous devez sans doute avoir vos raisons ma fille .

    VICTOIRE : Je ne suis pas votre fille , Madame .

    MADAME : C'est une expression ma pauvre enfant .

    VICTOIRE : Je ne suis ....

    MADAME : Suffit ! L'insolence est un défaut que je ne peux souffrir . Donnez-moi ce prix et sortez !

    VICTOIRE : Il me semble que le prix moyen est de six sous .

    (Elle sort)

    MADAME : Victoire !

    VICTOIRE : Oui Madame .

    MADAME : La prochaine insolence vous privera de votre dimanche matin , MA FILLE .

    VICTOIRE : .....

    (Sortie de Victoire - Entrée de Louise)

    LOUISE : Bonjour Maman . Victoire est furieuse . Qu'a-t-elle encore fait ?

    MADAME : (Elle lève la tête) Elle est insolente . Bonjour ma Louise .

    LOUISE : Je suppose que tu as fini ta phrase par "ma fille" . Tu sais bien qu'elle ne le supporte pas .

    MADAME : Je te rappelle qu'elle n'est qu'une servante , qu'elle est nourrie , logée , blanchie , qu'elle reçoit un salaire décent , tout comme sa soeur d'ailleurs , qu'elle .....

    LOUISE : Maman ! Elle a perdu ses parents si jeune !

    MADAME : Justement , elle devrait se sentir fière que je la nomme ainsi .

    LOUISE : Au contraire , c'est une souffrance pour elle .

    MADAME : Tout ceci est bien compliqué .

    (Entrée de Jeanne)

    JEANNE : Bonjour Maman . Victoire est furieuse .

    MADAME et LOUISE : Nous savons !

    MADAME : Bonjour ma Jeanne .

    JEANNE : Ah ! .... Tu brodes pour l'orphelinat .

    MADAME : Oui , les soeurs servantes du sacré-coeur de marie m'ont demandé un dessus de cheminée pour la salle à manger . Toutes ces pauvresses dont elles s'occupent à l'orphelinat Groult ont tout de même droit à un peu de bonheur pour les yeux . Quelle misère pour ces âmes que de devoir errer sans la tendresse de leur mère . Heureusement les Groult dans leur bonté , leur permettent de travailler moyennant salaire , sur lequel on prélève les frais de nourriture et d'entretien . Je le dis , mes enfants , ces pauvresses ont droit à nos travaux . Quelle joie pour moi d'entreprendre tout ceci sachant que nos petites orphelines , qui je crois ont entre treize et vingt et un ans , sauteront d'excitation à la remise de ce cadeau .

    JEANNE : C'est joli et joliment dit .

    (Madame reprend sa broderie puis s'arrête net ,sans lever la tête)

    MADAME : Dites-moi mes enfants , toutes les deux ici et de si bonne heure , cela présagerait-il d'une demande particulière ?

    LOUISE : Oui , mais c'est une idée de Jeanne .

    JEANNE : Non , ce n'est pas vrai !

    (Elles se chamaillent gentiment)

    MADAME : Ne nous emballons pas ainsi . Dîtes !

    LOUISE : Nous voudrions ....

    JEANNE : Obtenir la permission ....

    LOUISE : D'aller ....

    JEANNE : A l'inauguration ....

    LOUISE et JEANNE : .... De la nouvelle gare .

    MADAME : L'inauguration de la nouvelle gare ?!!

    LOUISE et JEANNE : Oui .

    MADAME : Mes enfants , mes enfants ! La gare est à l'autre bout de la ville . Je ne me sens pas le courage de m'inquiéter ainsi . Voyez votre pauvre mère si lasse obligée de se retourner les sangs car deux jeunes filles ont décidé , sous le joug de je ne sais quelle influence , de prendre le tramway de Concorde-Vitry !

    LOUISE : Maman , j'ai presque trente et un ans .

    JEANNE : Et moi presque trente .

    MADAME : Et depuis quand , des jeunes filles de bonne famille se permettent-elles d'arguer de leur âge , qui entre nous soit dit est encore bien jeune , pour influer sur une décision finale ? Mes enfants vos manières relèvent d'un manque de respect de l'autorité familiale .

    LOUISE : Maman , permets-nous d'insister , au risque de te décevoir . La ligne de tramway commencant à l'église Saint Germain depuis l'année dernière tu peux nous accompagner et constater ainsi que nous sommes bien installées , sans aucun risque .

    JEANNE : Nous prenons l'avenue du chemin de fer et descendons juste devant la gare .

    MADAME : Quel besoin avez-vous de courir la ville et ses dangers alors que tant de beauté s'offre à vous dans le parc . Nous possèdons le plus beau lieu de toute la région , ce chateau que j'ai hérité de mon père .....

    LOUISE : Nous étouffons , Maman !

    MADAME : Voyez-vous ça ! Elles étouffent ! Regagnez vos chambres et je ne veux plus entendre parler de tout ceci .

    (Elles sortent mécontentes)

    MADAME : Victoire ! .... Victoire !

    VICTOIRE : Oui Madame .

    MADAME : Où étiez-vous ?

    VICTOIRE : Dans la bibliothèque , Madame .

    MADAME : Que faisiez-vous dans la bibliothèque ?

    VICTOIRE : Je nettoyais , Madame .

    MADAME : Vous êtes toujours dans la bibliothèque à nettoyer .

    VICTOIRE : Non Madame . Je suis également dans les chambres , dans le petit salon , dans le grand salon , dans ....

    MADAME : Taisez-vous !

    SILENCE

    MADAME : Faisons la paix Victoire , j'ai quelque chose à vous demander . Empruntez-vous le tramway de Concorde-Vitry pour aller au marché du Port à l' Anglais ?

    VICTOIRE : Non , Madame .

    MADAME : La voiture ?

    VICTOIRE : Non , Madame .

    MADAME : Alors quoi ?

    VICTOIRE : Je marche .

    MADAME : Vous marchez ?!

    VICTOIRE : Oui , Madame .

    MADAME : Seule ?

    VICTOIRE : Oui , Madame .

    MADAME : Vous n'avez pas peur ?

    VICTOIRE : Non , Madame .

    MADAME : ...... Quel âge avez-vous maintenant Victoire ?

    VICTOIRE : Trente quatre ans , Madame .

    MADAME : Ah ! Oui ! ..... Forcément !

    VICTOIRE : Forcément quoi , Madame ?

    MADAME : Vous êtes beaucoup plus âgée .

    VICTOIRE : Beaucoup plus âgée que qui , Madame ?

    MADAME : Rien , rien . Vous pouvez retourner à vos livres Victoire .

    VICTOIRE : Ce ne sont pas les miens , Madame .

    MADAME : Il me semble que vous ne vous gênez pas pour les consulter si j'en crois Blanche .

    VICTOIRE : Blanche est une punaise qui répète tout , Madame .

    MADAME : Blanche est une enfant qui a enduré mille malheurs , que j'ai recueillie à la mort de mon pauvre frère tué à la guerre par les prussiens . Vous êtes sans coeur et sans âme ma fi......

    (Victoire est sortie avant "ma fi...." - Entrée de Blanche)

    BLANCHE : Qu'avez-vous Mère , vous êtes malade ?

    MADAME : Non ma petite Blanche , ce sont les rebellions de Victoire qui m'épuisent .

    BLANCHE : Pourquoi ne la congédiez-vous pas ?

    MADAME : Parce qu'elle fait correctement son travail .

    BLANCHE : Il y a des tas de domestiques qui font correctement leur travail .

    MADAME : Victoire connaît mes habitudes , mes préférences , mes manies , mes faiblesses .....

    BLANCHE : Oui , mais elle est insolente et insoumise .

    MADAME : C'est vrai ma petite Blanche .... Elle ressemble à son père .

    BLANCHE : Vous connaissez le père de Victoire ! Vous ne m'en avez jamais parlé . Oh ! Mère , racontez-moi !

    MADAME : Pas maintenant , ma douce . Tous ces conflits m'ont épuisée . Je sors au jardin avant que la chaleur ne nous écrase .

    BLANCHE : Je vous accompagne .

    (Elles sortent en croisant Philo qui vient apporter des fleurs dans un vase)

    PHILO : Victoire ! (Elle l'appelle)

    VICTOIRE : (De la coulisse) J'arrive PHILOMENE .

    PHILO : Ne m'appelle pas Philomène , je suis Philo . (Entrée de Victoire) P.H.I.L.O c'est tout . Philo Desforges fille de Lou et Joshua Desforges , adoptée par Monsieur Pique-Matthieu .....

    VICTOIRE : (Elle imite Madame) Ma pauvre enfant votre esprit déraille .

    PHILO : La vieille est dehors .

    VICTOIRE : Je ne sais pas .

    PHILO : Si , si . Elle marche avec Blanche vers la pièce d'eau . Tu as des nouvelles ?

    VICTOIRE : Pierre doit m'envoyer un télégraphe . Il y a réunion dimanche à 10 heures au pavillon des Guillorin rue des Aulnaies .

    PHILO : Je suis fière de toi , petite soeur .

    VICTOIRE : Arrête Philo , tu m'ennuies . Pourquoi me dis-tu sans cesse cela ?

    PHILO : Parce que c'est vrai Victoire .

    VICTOIRE : C'est une réponse un peu vague . Je te percevais plus brillante . On dirait Blanche .

    PHILO : Ah ! ça non ! Je t'interdis cette insulte-là .

    (Elle se jette sur elle en rigolant , elles restent assises par terre)

    VICTOIRE : Alors offre-moi une réponse "philomènique" .

    PHILO : ..... J'aime beaucoup "philomènique" .

    VICTOIRE : Oui .... Mais je n'ai toujours pas de réponse .

    PHILO : C'était quoi la question ?

    VICTOIRE : Pourquoi me dis-tu sans cesse que tu es fière de moi ?

    PHILO : Tu te souviens de Papa et de Maman ?

    (Son regard part ailleurs avant la réplique)

    VICTOIRE : Il me reste une odeur .... Juste une odeur .... Là très loin au fond de moi .

    PHILO : Tu avais quelques mois . Maman venait d'apporter un peu de soupe aux communards de la Redoute du Moulin de Saquet . Les femmes se relayaient . Ce soir du 3 Mai 1871 , c'était le tour de Maman . Papa l'avait faite prévenir de ne pas venir car le Comité de Salut Public avait ordonné à Wroblewski de se porter , avec des renforts , au secours du Fort d' Issy et il craignait pour sa sécurité .

    Elle est tout de même venue . Elle voulait le voir un peu . Tu sais , ils s'aimaient si fort . Elle participait chaque fois qu'elle le pouvait . Cela lui manquait la lutte . Déjà à la Révolution de 1848 , elle avait à peine quinze ans , elle était sur les barricades . C'est là qu'elle a rencontré Papa . Ils ont construit leur vie autour des idéaux révolutionnaires .

    VICTOIRE : Attends .

    PHILO : Quoi ?

    VICTOIRE : Voilà Augustine .

    (Entrée d' Augustine)

    AUGUSTINE : Que faites-vous par terre ?

    VICTOIRE : Nous parlons .

    AUGUSTINE : Par terre ?

    PHILO : Oui .

    AUGUSTINE : Où est ma soeur ?

    VICTOIRE : Au jardin avec Blanche .

    AUGUSTINE : Vous pourriez vous lever pour me répondre .

    (Elles se lèvent)

    PHILO et VICTOIRE : "Au jardin avec Blanche" .

    AUGUSTINE : Si ce n'était le souvenir de votre père , je vous flanquerais dehors .

    PHILO : (Ironique) Oui mais il y a le souvenir ....

    VICTOIRE : Et puis , nous sommes les domestiques de votre soeur , dans le chateau de votre soeur , alors ....

    AUGUSTINE : Je me plaindrai . Vous n'êtes que deux vieilles filles dont aucun homme ne voudra jamais .Vous passez votre temps à comploter . Vous faîtes souffrir cette pauvre Blanche , vous détournez Louise et Jeanne du droit chemin . Ah ! si c'était moi ....

    VICTOIRE : Oui mais , ce n'est pas vous .

    AUGUSTINE : Taisez-vous ! Vous êtes deux pestes . Ma soeur devra remédier à vos attitudes inadmissibles .

    PHILO : Avez-vous quelque reproche à faire sur notre travail ?

    AUGUSTINE : Non , bien sûr , mais la vie serait tellement plus paisible si enfin vous acceptiez d'être qui vous êtes .

    VICTOIRE : Et qui devrions-nous accepter d'être ?

    AUGUSTINE : De simples domestiques engagées au service du plus grand nom du village de Vitry . Cesser également de faire les fières alors que notre brave curé Amiot me dit vous voir de moins en moins à la messe . Vous vous perdrez , je le dis , vos âmes finiront en enfer . Ah ! si c'était moi .... (Elle sort)

    (Philo et Victoire tombent à genoux et se signent en éclatant de rire .

    Elles se rassoient par terre)

    PHILO : Où en étais-je ?

    VICTOIRE : Aux idéaux révolutionnaires de Papa et de Maman .

    PHILO : Tu sais pourquoi tu t'appelles Victoire ?

    VICTOIRE : Grâce "aux idéaux révolutionnaires" ?

    PHILO : Oui . Lorsque tu es née , ils pensaient que la Commune serait victorieuse .

    VICTOIRE : Comment tu sais tout cela ?

    PHILO : Maman me racontait la vie telle qu'elle serait après la Révolution . La liberté , l'égalité , la vraie , celles qu'on nous avait confisquées depuis 89 . Je ne comprenais pas toujours tout , mais il y avait une telle brillance dans son regard que je saisissais l'importance de ses propos . C'est elle qui m'a appris à lire . Elle disait que le savoir est la meilleure arme pour s'approprier le monde , pour combattre la domination des riches .

    VICTOIRE : Elle avait raison .

    PHILO : Oui .... Tu lui ressembles tellement ....

    VICTOIRE : Continue le récit du soir du 3 Mai .

    PHILO : Maman n'est pas partie après avoir distribué la soupe . Elle construisait le monde . Puis les hommes se sont endormis , épuisés qu'ils étaient de ces jours si difficiles . Elle est allée porter un peu de café aux sentinelles . Il était onze heures . Un homme s'est approché . Antoine , l'une des sentinelles , lui a demandé "Qui vive ?" et l'homme a répondu "Vengeur" . Il l'a laissé passer . C'était un versaillais et tout son détachement a suivi . Cela a été un massacre , 250 morts , 300 bléssés et 8 canons saisis .

    VICTOIRE : Comment les versaillais ont-ils eu le mot de passe ?

    PHILO : Pique-Matthieu m'a toujours dit que c'était un certain Gallier ou Gallien qui avait livré le mot de passe . Mais malgré des preuves accablantes , la vérité n'a jamais pu éclater .

    VICTOIRE : Maman a été tuée ?

    PHILO : Oui .

    VICTOIRE : Et Papa ?

    PHILO : Ils l'ont déporté en Nouvelle Calédonie avec Louise Michel et les autres communards .

    VICTOIRE : Il est mort là-bas ?

    PHILO : Oui .

    VICTOIRE : Et Pique-Matthieu nous a élevées ....

    PHILO : Pas tout de suite . Aprés l'arrestation de Papa , des versaillais sont venus nous chercher . Ils ont prétendu que nous appartenions à l' Etat , que c'était l' Etat qui devait nous éduquer . Ils nous ont mises à l'asile-école de Bicêtre . On est resté là environ trois ans et puis un jour Pique-Matthieu est venu avec un certificat d'adoption . Nous étions sales et pleines de poux .

    VICTOIRE : Tu l'as reconnu tout de suite ?

    PHILO : Ah ! Oui alors ! J'avais gravé son visage au fond de mon regard pour ne jamais l'oublier . Tu sais , à cette époque , il s'appelait encore Matthieu , c'est toi qui lui as donné son surnom à cause de sa moustache qui piquait .

    VICTOIRE : Mais c'était qui Pique-Matthieu pour Papa et Maman ?

    PHILO : C'était le meilleur ami de Papa . Il était là le jour où ....

    (Entrée de Louise)

    LOUISE : Qu'est-ce qui vous arrive ?

    VICTOIRE : Rien .... Pourquoi ?

    LOUISE : Et bien .... Vous êtes assises par terre .

    VICTOIRE : Ah oui , tiens ! Nous sommes assises par terre .

    LOUISE : Je peux ?

    VICTOIRE : Non . Il vaut mieux que l'on se lève si ta mère arrive , ce sera un vrai scandale et je ne veux pas qu'elle me supprime mon dimanche matin .

    (Elles se lèvent et rajustent leurs vêtements)

    PHILO : Tu as besoin de quelque chose Louise ?

    LOUISE : Non , non . Enfin , oui , mais non .

    VICTOIRE : Oui ou non ?

    LOUISE : Oui , mais ....

    PHILO : Louise !

    LOUISE : Je voudrais ....

    VICTOIRE : Louise tu n'es pas devant ta mère tout de même .

    LOUISE : Je sais , mais c'est délicat . C'est un service que je voudrais vous demander .

    PHILO : Et bien , demande .

    LOUISE : Nous voudrions avec Jeanne obtenir la permission d'aller dimanche 6 Août ....

    VICTOIRE : (Dépitée) A l'inauguration de la nouvelle gare !

    LOUISE : Oui .

    PHILO : Donc , si j'entends bien , Victoire et moi-même devons prévoir notre aprés-midi du 6 Août , soumettre l'idée à ta mère que nous pourrions y aller ensemble etc ... etc ... etc ...!

    LOUISE : Oui .

    VICTOIRE : Mais c'est le premier dimanche du mois ! C'est le seul dimanche entier auquel on a droit !

    LOUISE : Oui .

    (Victoire sort fâchée)

    LOUISE : Elle est fâchée ?

    PHILO : Oui . Mais , laisse-moi faire , je vais m'en débrouiller .

    (Philo part puis se retourne)

    PHILO : Donnant donnant Louise .

    LOUISE : Donnant donnant m... Philo .

    PHILO : Tu allais dire quoi ?

    LOUISE : MA .

    PHILO : Ah ! Non . Tu ne vas pas t'y mettre aussi .

    LOUISE : Excuse-moi Philo ... Attends .... Je vous aime .

    PHILO : Les sentiments ne sont pas tout Louise , il faut de la conscience .... De la conscience .

    (Elle dit cela plus fort et sort)

    (Louise s'installe , sort l'affiche de l'inauguration

    pliée en tout petit , relie tout)

    (Entrée de Jeanne)

    JEANNE : Tu as parlé à Philo et à Victoire ?

    LOUISE : Oui .

    JEANNE : Et alors ?

    LOUISE : Philo ça va , mais Victoire est fâchée .

    JEANNE : .... Tu crois qu'on pourra aller aux fêtes nautiques ?

    LOUISE : Sur le quai du Port à l' Anglais ?

    JEANNE : Bien oui !

    LOUISE : Oh ! Jeanne , tu exagères . Elles vont hurler .

    JEANNE : Mais , Louise , c'est le seul moment où l'on puisse voir Monsieur Le Maire , le reste du temps il sera aux côtés de Monsieur Le Ministre des Travaux Publics .

    LOUISE : Nous pourrons peut-être l'apercevoir au lunch d'honneur .

    JEANNE : Le lunch d'honneur a lieu sous le préau de l'école maternelle au 20 de l'avenue des Ecoles , tu penses bien que chacun va tenter de l'aborder dans cet espace fermé . Et puis , une fois là-bas , nous pourrons bien remonter la rue Charles Fourier jusqu'à la Seine .

    LOUISE : Mais qu'as-tu donc à demander à Monsieur Arsène Gravier ?

    JEANNE : Je n'ai rien à demander de particulier !Tu es une sotte .

    (Elle boude)

    LOUISE : Ne te fâche pas .

    JEANNE : Depuis son élection au mois de mai 1904 , je ne l'ai aperçu que deux fois et encore j'étais loin . Je veux le voir de près , c'est tout . Chaque fois qu'il est venu ici , j'étais en confession à l'église Saint Germain .

    (Elle pleurniche)

    LOUISE : Ma pauvre petite soeur . (Elle la console) Ecoute , je vais essayer de convaincre Philo et Victoire .... Maman arrive , sortons nos chevalets et dessinons pour éviter la leçon de morale .

    JEANNE : Louise , l'affiche !

    (Louise range l'affiche)

    (Elles sortent tout leur matériel de dessin . Griffonnent tant bien

    que mal en vitesse et s'appliquent dès que leur mère apparaît)

    (Entrée de Madame puis Augustine et Blanche)

    MADAME : Quelle beauté que ce jardin , je ne m'en lasse pas .... Oh ! mes enfants , mes douces et belles jolies jeunes filles , quelle oeuvre se profile sous vos crayons ?

    LOUISE : C'est encore difficile à dire .

    JEANNE : Nous cherchons .

    AUGUSTINE : Ces enfants seront des artistes . Pourquoi n'essais-tu pas ma petite Blanche ?

    LOUISE : C'est vrai , tu devrais essayer Blanche .

    BLANCHE : Je préfère la broderie et puis avec la main gauche j'en mettrais partout .

    AUGUSTINE : C'est vrai , j'avais oublié ton infirmité ma Blanche . Mais pourquoi le seigneur t'a-t-il envoyé cette épreuve ? Vous voyez , mes petites , Blanche doit se battre chaque jour beaucoup plus que vous , ne l'oubliez jamais . Te souviens-tu Sidonie tout ce que nous avons fait lorsqu'elle était enfant ?

    MADAME : Si je m'en souviens ! Des heures entières nous t'attachions la main pour ne pas que tu t'en serves . Lors des repas nous accrochions ton bras le long du dossier de la chaise . Tu en mettais partout ... Quelle désespérance !! Monsieur le curé disait que c'était une marque du diable .

    AUGUSTINE : Charles-Marie Jacquet .... Notre bon curé . J'ai toujours une larme lorsqu'on l'évoque .

    BLANCHE : Et malgré vos bons soins ....

    AUGUSTINE : Ton vice a persisté ma Blanche . Mais nous t'aimons telle que tu es .

    LOUISE : Tante Augustine le mot vice est un peu fort .

    AUGUSTINE : Tu as raison ma chérie , je le retire . Et puis , ce serait ne pas rendre hommage à tous les efforts que notre Blanche fait contamment pour être normale .... comme nous .

    MADAME : C'est ainsi , ma douce Blanche , tu dois expier jusqu'à ton dernier souffle une faute que tu n'as pas commise . Mais , le jour du jugement dernier le seigneur te reconnaîtra .

    BLANCHE : Oh ! Mère , je vous aime tellement .

    MADAME : Allez , il est l'heure de se mettre au travail sinon les soeurs nous gronderont tels des petits enfants .

    (Louise et Jeanne continuent leur dessin

    Madame sa broderie

    Augustine son canevas)

    Silence complet chacune à sa tâche .

    (On entend Philo et Victoire chanter

    "Le temps des cerises".

    Louise et Jeanne reprennent en coeur

    Madame et Augustine relèvent la tête , offusquées)

    MADAME : Vous connaissez cette chanson ?

    JEANNE : A force de l'entendre , oui .

    MADAME : J'avais pourtant interdit de la chanter ici !

    LOUISE : Mais , Maman cette chanson est très belle .

    MADAME : Cette chanson si "belle" comme tu dis était l'hymne des anarchistes qui faillirent renverser l' Empereur Napoléon III . Je te rappelle Louise , ainsi qu'à toi Jeanne , que votre père a combattu contre ces fédérés . Qu'il y a laissé sa santé et que depuis cinq ans vous êtes orphelines à cause de ces communards (dit de façon énervée) qui ont osé défier l'autorité étatique . Il est donc hors de question que je pousse plus avant cette conversation . Dessinez et taisez-vous !

    AUGUSTINE : Je pense Sidonie que tu devrais prendre des mesures plus concrêtes envers ces domestiques qui nous empoisonnent la vie .

    BLANCHE : C'est vrai Mère ...

    MADAME : Je n'ai besoin de personne pour me signifier mes actes !

    SILENCE

    (Chacune reprend son travail .

    On entend toujours Philo et Victoire)

    MADAME : Philomène ! Victoire !

    (Entrée de Philo et Victoire)

    PHILO et VICTOIRE : Oui Madame .

    MADAME : Allez au verger ramasser des fruits .

    PHILO : Mais , il y en a plein la corbeille , Madame .

    MADAME : Portez-les au presbytère pour les enfants nécessiteux .... Maintenant ...!

    (Philo et Victoire restent interloquées)

    PHILO : Bien , Madame .

    (Elles vont sortir , puis Victoire revient sur ses pas)

    VICTOIRE : Puis-je demander à Madame , sans recevoir la foudre , la raison .....

    MADAME :(En furie) Allez au verger ramasser des fruits pour les enfants nécessiteux !!

    (Philo et Victoire sortent)

    AUGUSTINE : Ma pauvre soeur , ton coeur ne résistera pas longtemps à ce rythme-là , tu devrais ....

    MADAME : Ecoute Augustine , cela fait plus de quarante cinq ans que tu vis ici , que je supporte tes rhumatismes , tes plaintes , tes gémissements . Que j'ai tout accepté par amour pour mon père qui était le tien aussi . Que je t'ai accueillie parce que , disait-il , tu étais le fruit d'une erreur de jeunesse et qu'il voulait t'offrir , à défaut de son nom , un peu de bonheur et de chaleur pour réparer sa faute . Que le lendemain de l'enterrement de Maman , qui n'était pas la tienne , je suis allée te chercher . Qu'il a fallu t'apprendre les bonnes manières qui siéent à notre rang , que nous avons pour cela engagé une personne de confiance qui tiendrait le secret . Que nous avons , aussi , pour l'occasion inventé l'histoire de la fille aînée revenue de l'étranger . Que Papa a fait donner une messe en ton honneur et a obtenu du curé Cuttoli que la SOPHIE-CHARLOTTE , petite cloche de l'église Saint Germain fondue par Hildebrand à Paris , installée en 1832 , sonne pour annoncer à tous les retrouvailles d'une famille unie . Je ne regrette rien car j'ai l'âme charitable , mais de grâce Augustine , épargne-moi toutes tes annotations verbales en ce qui concerne Philomène et Victoire .

    (Augustine sort en furie , renversant les chevalets .

    Tenir compte dans le déplacement de ses 70 ans)

    (Louise , Jeanne et Blanche restent muettes

    devant cette révélation)

    MADAME : Et bien voilà , mes enfants . Le non-dit qui nous va si bien à nous gens nobles , riches et bourgeois , vient de se fracasser sur le sol de mon exaspération . Je regrette que vos chastes oreilles aient été souillées par ces révélations , mais si nous reprenons notre travail , si nous nous imposons une discipline intérieure stricte , nous pourrons prétendre , avec l'aide de notre seigneur tout puissant et de son fils jésus-christ , rendre à nos vies la sérénité pour laquelle nous sommes faîtes . Travaillons .

    (Louise , Jeanne et Blanche remettent les chavalets en place .

    Il y a une atmosphère lourde pendant un certain temps)

    JEANNE : Maman ?

    MADAME : Oui , ma Jeanne ?

    JEANNE : Raconte-nous l'arrivée de Blanche .

    BLANCHE : Oui , Mère . Il y a longtemps que vous ne nous l'avez pas narrée .

    MADAME : Vous la connaissez par coeur .

    LOUISE : Cela nous détendra .

    MADAME : Vous avez raison . Apaisons nos âmes . C'était en 1870 . Tu venais de naître . Mon frère , donc ton père , était à Sedan aux côtés de l' Empereur . En Septembre , il y a eu la grande défaite . Ton père est tombé au champ de bataille . Naturellement , nous t'avons accueillie dans notre demeure avec ta maman . Ta pauvre maman ....

    (Entrée de Philo)

    PHILO : Excusez-moi , Madame , nous partons au presbytère .

    MADAME : Attendez , Philomène , ce n'est plus la peine .

    PHILO : Mais , que faisons-nous des fruits ramassés , Madame ?

    MADAME : Posez-les en cuisine , nous les dégusterons ce soir .

    PHILO : Il y en a beaucoup , Madame .

    MADAME : Beaucoup ?

    PHILO : Les enfants nécessiteux sont nombreux dans le quartier de la Ferme aux Oies ....

    (Entrée de Victoire qui porte un énorme panier rempli de fruits .

    Voix essoufflée)

    VICTOIRE : ..... Donc , nous avons cueilli tout ce qui pouvait l'être .... Madame !

    (A la vue de Victoire , Louise et Jeanne éclatent de rire)

    LOUISE : (En riant) Ma chère Maman nous allons manger des fruits de l'entrée jusqu'au dessert .

    MADAME : Au lieu de rire en tous sens , allez donc aider .

    (Louise et Jeanne sortent en aidant Victoire ,

    toujours en riant . Philo sort aussi)

    SILENCE

    MADAME : Ma petite Blanche , veux-tu aller chercher Tante Augustine s'il te plait .

    (Blanche se lève et sort . Elle revient avec Augustine)

    MADAME : Je suis navrée de cet emportement et .... devant notre jeunesse .... Tu ne parles plus .....

    AUGUSTINE : Moi aussi j'aurais des choses à te reprocher et je n'en ai jamais rien fait ...

    MADAME : Et bien , dis .

    AUGUSTINE : Peux-tu sortir ma Blanche ?

    (Blanche sort)

    AUGUSTINE : Voilà , nous sommes seules . Alors , puisqu'au soir de notre vie nous devons solder nos comptes , je vais te dire ce que jamais je n'ai voulu te dire , non que je n'osais pas , mais j'estimais comme toi que l'amour pour Papa était la priorité . Oui , j'ai souffert de grandir loin de lui et lorsqu'il venait nous rendre visite , certains soirs , j'avais envie de hurler au moment de son départ . Mais , je lui en voulais aussi , je lui en voulais terriblement , parce que je savais le chateau , ton existence et celle de ton frère dans un univers spacieux et doré , alors que je me débattais dans la boue de notre lotissement rue du Rû Grand .

    Lorsque j'ai eu treize ans Maman m'a placée à la carrière de l'avenue Rouget de Lisle au numéro 100 . Mais , vois-tu , aussi pénible que fut le travail , j'étais fière d'être là parce que c'était dans cette carrière , où je poussais les wagons remplis de gypse , que l'on avait découvert le squelette d'un paléothérium , cette sorte de tapir de l'ère tertiaire .

    MADAME : Celui qui est exposé au Jardin des Plantes ?

    AUGUSTINE : Oui , celui-là même !

    MADAME : Je comprends mieux pourquoi lorsque la folie de notre jeunesse nous poussait hors de notre village , tu désirais toujours aller le voir . Tu te souviens du cocher du fiacre que nous prenions place de la mairie dans la rue de La Barre , dès qu'il nous apercevait il chantait :

    "Au Muséum d' Histoire Naturelle

      Il y a de bien jolies jeunes filles

      Ce sont de vraies demoiselles

      Qui aiment se promener en ville ."

    AUGUSTINE : Oui , je me souviens .

    MADAME : C'était il y a bien longtemps ..... (Elle est rêveuse)

    AUGUSTINE : Sidonie ..... Je n'ai pas fini .

    MADAME : Oui , oui . Continue .

    AUGUSTINE : En 1854 , l'usine de blanchiment de tissus par le chlore s'installe au Port à l'Anglais . J'obtiens la permission de Maman d'aller m'y faire embaucher . J'ai dix neuf ans . Nous sommes une cinquantaine de jeunes ouvrières joyeuses et pleines de vie . Il y a là aussi quelques jeunes ouvriers qui font les gros travaux de chargement sur les carrioles .

    MADAME : Anatole était l'un d'eux ?

    AUGUSTINE : (Très surprise) Tu sais pour Anatole ?

    MADAME : Un peu . Juste avant ton arrivée Papa m'a dit "ma petite fille , nous allons tous deux nous armer de patience car notre Augustine a tout à apprendre . Nous en ferons une jolie jeune fille digne de ce chateau et tu verras , elle oubliera vite son Anatole" .

    AUGUSTINE : Je ne l'ai jamais oublié , tu entends . JAMAIS !

    SILENCE

    AUGUSTINE : Durant cinq années j'ai blanchi les tissus et puis nous avons appris qu'une savonnerie et une parfumerie se construisaient rue Eugène Pelletan . Nous étions quelques unes à avoir envie d'y aller car nous pensions que le travail se ferait dans des odeurs agréables . Il nous fallait attendre deux années avant l'ouverture . Nous étions en 1859 . Je suis rentrée à la maison , Maman avait préparé mon trousseau . Sotte que j'étais ! J'ai cru qu'elle avait compris pour Anatole et qu'elle me donnait la permission de l'épouser . (Elle rêve) Je me voyais déjà devant Monsieur Le Maire , au bras de mon aimé , disant oui . Alors , Monsieur Lamouroux nous aurait fait signe de nous approcher des registres et ensemble nous déposions pour la vie l'accord de notre union . (Retour à la réalité) .

    Elle m'a juste dit de faire l'inventaire et de composer ce qui manquait . "Parce que ta soeur vient te chercher la semaine prochaine , tu ne travailleras plus , tu seras bien , tu auras une grande chambre pour toi toute seule , tu auras des jupons et des gants . Et si le soir avant de t'endormir , tu penses un peu à ta vieille maman , alors c'est qu'il devait en être ainsi " .

    MADAME : Mais , pourquoi ne pas avoir refusé si cela te procurait de la souffrance ?

    AUGUSTINE : Tu as refusé , toi , Jean-Nicolas Delcourt de Montbussond ?

    MADAME : Non .

    AUGUSTINE : Non , parce qu'une jeune fille pour être digne de ce nom ne s'oppose pas , et même , s'il faut pour cela faire fi de sa volonté . Oh ! Je sais qu'aujourd'hui , tout cela a bien changé et que nos fillettes montrent de l'entêtement .

    MADAME : Tu dis cela et tu me reproches sans cesse mon manque de sévérité vis-à-vis de Philomène et de Victoire .

    AUGUSTINE : Mais , ces domestiques ne sont pas nos fillettes !

    MADAME : Oui ..... Je sais ..... Tout est si compliqué , parfois ..... (Elle change de ton) Dis-moi , cet Anatole était un vrai fiancé ?

    AUGUSTINE : Oui . Nous voulions nous marier .

    MADAME : Tu n'as pas ... ?

    AUGUSTINE : Malgré les difficultés , j'ai reçu une parfaite éducation !

    MADAME : Mon mariage a dû te causer une grande peine .

    AUGUSTINE : Ton mariage ..... L'arrivée des enfants .... Blanche et sa maman .... Oui tout cela a été de grands combats à mener intérieurement . Mais j'ai sauvé mon âme de l'aigreur en priant .

    MADAME : Tu as fait ce qu'il fallait faire . L'éducation religieuse a ceci de merveilleux : elle vient à bout de n'importe quelle personnalité révoltée .

    Elle permet par la flagellation symbolique l'entrée dans l'acceptation . La résignation est un bien fait pour nos âmes tentées . Et nos souffrances inutiles voire égoïstes font place à la charité qui nous permet l'approche de l'autre . Ah ! Augustine , tu as marché vers toi avec l'aide de notre seigneur jésus-christ et tu t'es découverte . J'ai failli être emplie de remords au début de ton récit , mais le choix de Papa était le bon . En vivant ici , tu t'es accomplie !

    AUGUSTINE : Finalement , tu as peut-être raison .... Cela m'a fait du bien de te confier mes secrets . Mais , dis-moi , où sont nos jeunes filles ? Louise , Jeanne , Blanche !

    MADAME : Louise , Jeanne , Blanche !

    LOUISE , JEANNE , BLANCHE : Nous voilà , nous voilà .

    MADAME : Où étiez-vous donc passées ?

    BLANCHE : Vous m'aviez demandé de sortir Tanta Augustine , je suis donc montée dans ma chambre .

    MADAME : Et vous , mes enfants ?

    JEANNE : Nous avons fait une grande promenade dans le parc .

    LOUISE : Nous sommes allées jusqu'à la ferme .

    MADAME : La ferme !

    JEANNE : Oui , mais nous avons fait attention . Et puis , Maman , nous n'avons plus six ans .

    AUGUSTINE : C'est vrai Sidonie . Il serait temps que tu leur laisses un peu découvrir la vie . En protégeant nos jeunes filles nous ne les endurcissons pas face aux épreuves qu'immanquablement le seigneur leur enverra .

    MADAME : Je ne sais si le seigneur se tient là . Ce que je sais moi , c'est que notre époque recèle d'individus mal intentionnés , qu'un accident est vite arrivé et que je n'aime pas vous voir rôder près de la chapelle expiatoire .

    LOUISE : Mais qu'a donc cette chapelle dont on ne peut s'approcher ?

    MADAME : Trop de souvenirs souffrants m'empêchent de vous conter l'histoire .

    BLANCHE : Oh ! Mère , laissez-moi conter .

    LOUISE : Tu connais l'histoire , Blanche ?

    AUGUSTINE : Blanche , mes enfants , est votre aînée . Elle sait donc plus de choses que vous .

    JEANNE : Tante Augustine , nous n'avons que cinq ans d'écart .

    MADAME : Disons que Blanche a toujours fait preuve d'un plus grand intéressement à l'histoire de la famille , et que son âge lui permettant de veiller un peu plus tard que vous , nous avons , au cours de nos travaux de broderies , évoqué ces drames qui marquent à jamais notre nom .

    LOUISE : Parce qu'en plus c'est dramatique !

    (Entrée de Philo)

    PHILO : Excusez-moi . Vous désirez déjeuner dans la salle à manger ou à l'ombre des arbres , Madame ?

    JEANNE : Maman , déjeunons dehors !

    MADAME : Soit !

    (Philo sort)

    AUGUSTINE : Décidément , elles ont le don de nous interrompre ! Je le dis , trop d'indulgence ne permet pas à l'âme de se former .

    LOUISE : Tante Augustine , Philo est juste venue nous proposer une douceur .

    MADAME : Louise ! Elle se nomme Philomène !

    SILENCE

    BLANCHE : Alors , on ne raconte plus ?

    JEANNE : Oh ! Si Blanche . La curiosité est mal , je sais , mais je promets de faire pénitence . Je ferai deux dessins pour les pauvres du village .

    MADAME : Allez , ma douce Blanche , nous t'écoutons .

    BLANCHE : C'était le 20 Avril 1796 . Notre beau pays de France se défigurait depuis la mort de notre roi . (Le ton est pathétique)

    MADAME : Excuse-moi , ma petite Blanche , mais je te rappelle que mon aïeul De Vitambert a prêté serment à la République , que dans ce chateau et dans ce parc étaient célébrées les fêtes patriotiques .

    Que Félix-Gaspard Hadencourt de Vitambert a toujours satisfait à toutes les réquisitions , qu'il a offert deux chevaux et un chariot à l'armée et qu'enfin il a équipé à ses frais , un cavalier jacobin et plusieurs volontaires vitriots . Que son frère Adonis servait dans l'armée de la toute jeune République et que séjournant au chateau , il s'est présenté à Monsieur Mackau , Maire de Vitry aux Arbres , conformément aux lois et décrets en vigueur .

    LOUISE : Mon grand père était républicain ? !

    MADAME : Mon enfant , il faut parfois , pour sauver son patrimoine , savoir accepter le compromis . Cette bâtisse magnifique , dont à ma mort vous jouirez , a été construite en 1710 par Louis-Henri de Jenan de Moqueville premier grand seigneur de notre village .

    AUGUSTINE : Et si nous laissions notre Blanche continuer l'histoire .

    JEANNE : Maman , j'ai une requête à faire . Puisque notre grand père a aidé la cause républicaine , ne pourrait-on pas déroger à nos rites familiaux en demandant à Philomène et à Victoire d'assister au récit . Je suis sûre que cela les intéresserait .

    AUGUSTINE : Ah ! Non ! Et qui va préparer le déjeuner ?

    JEANNE : Oh ! Maman , elles s'assiéront dans un coin sans bouger .

    AUGUSTINE : Elles sont incapables de rester en place .

    MADAME : Je pense que Tante Augustine a raison .

    JEANNE : Tante Augustine a toujours raison ! Alors , je vais vous dire , moi , ce que je pense . J'ai grandi dans ce chateau , j'ai appris à marcher dans le parc au côté de notre gouvernante Madame Fusain qui n'était pas toujours très gentille , n'est-ce pas Louise ? A la mort de celle-ci , deux très jeunes filles sont venues la remplacer et elles m'ont appris le nom des fleurs , des arbres et des oiseaux . Malgré leurs caractères joyeux , ni toi Maman , ni toi Tante Augustine n'avez jamais pu les aimer . Quant à toi , Blanche , tu les a toujours détestées ....

    BLANCHE : C'est elles qui me détestent !

    JEANNE : Ce n'est pas vrai , tu mens et tu le sais ....

    MADAME : Jeanne  , je t'ordonne de te calmer .

    JEANNE : Non ! Je ne veux plus me calmer . J'en ai assez d'être confinée dans ce satané chateau . Je veux vivre , voir des gens , rire , sortir .....

    BLANCHE : Et devenir une fille de mauvaise vie ....

    (Jeanne se lève pour bondir sur Blanche)

     

    A   SUIVRE ................

     

     

     

     

     

     

     


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