• Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux nait à Paris en 1688 . Fils d'un directeur de la monnaie de Riom , sa vie s'est passée sans éclat ni aventure , toute consacrée à l'essentiel : son oeuvre . Et personne n'a su mieux que lui , faire respecter l'indépendance et la dignité de la condition d'homme de lettres . On l'a dit secret , il laisse en effet peu de traces : quelques contrats portant sur des revenus médiocres , des signatures sur le registre de l'Académie , un testament de dix lignes et l'inventaire après décès d'un appartement très modeste .

     

    Il ne voulait qu'une chose : être Marivaux . Certain que chaque époque , chaque être , chaque écrivain possède sa vision propre , il n'a songé qu'à "se ressembler fidèlement à soi-même" , à cultiver sa "différence" , sa "singularité d'esprit" : le marivaudage coïncide avec l'idée qu'il se faisait de l'originalité , de la modernité . Il a été délibérément "moderne" , c'est-à-dire peu soucieux de modèles , d'écoles , de règles , mais passionné de vérités imprévues . Il a rompu avec les dogmes , avec les idées reçues , pour mieux comprendre ce qu'était vivre , aimer , souffrir . Il a abordé le domaine mouvant des impressions avec la rigueur ingénue d'un géomètre . Tout dans son oeuvre est métamorphose et approfondissement .

     

    Cet homme , que l'on dit courtois et raffiné mais distant , vaniteux , suceptible , vit replié sur lui-même . Et pourtant rien ne lui est étranger des grands débats religieux , philosophiques ou politiques du temps . Toute injustice , toute hypocrisie le révolte , il a su parler du peuple , de la misère des huguenots , de l'indifférence des princes , du règne de l'argent , de la souffrance des enfants , des femmes et des vieilles gens . Ce spectateur , ce guetteur mélancolique , assis à l'écart ou mêlé à la foule de la rue , semble vibrer de toutes les douleurs qui se taisent .

     

    Au théâtre , il se contente de trois actes , parfois d'une succession de scènes ; il a horreur des grands genres , des gros livres , des brevets d'esprit . Mais ce qu'il a entrepris de montrer , jamais il ne se lasse de l'approfondir : ruses de l'amour-propre et de la coquetterie , imposture de la vie sociale , richesse et corruption du coeur , révélation de l'être par l'amour , difficulté de la sincérité , quelques thèmes suffiraient à circonscrire son domaine , et une seule méditation préside à ses romans , à ses comédies , à ses journaux .

     

    Il cherche par quel miracle soudain l'être se révèle , se libère de tous les écrans du mensonge , de la mauvaise foi et du préjugé . La sensibilité est pour lui capacité de souffrir et de comprendre ; elle est aussi don de soi , besoin d'aimer et de compatir ; elle est enfin élévation naturelle ; elle est la vie même , exquise et tumultueuse . Elle ne s'exprime que par surprise , par des "mouvements" qui relèvent de l'instinct et qui  en ont la justesse . Elle ne s'oppose pas à l'amour-propre qui est naturel , mais à la vanité qui est sociale .

    Qu'un être se libère des pièges du langage ou des conventions et se révèle , et la sensibilité parle seule ; cela aussi est marivaudage .

     

     

     

    Source : Encyclopédie Universalis / Edition de 1988  -


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